Nutrition

Le shilajit et l’acide fulvique : la panacée de l’Ayurveda enfin percée à jour ?

Qui n’a jamais rêvé de mettre la main sur le remède miracle, cette molécule aux pouvoirs insoupçonnés qui viendrait à bout de tous nos maux ? C’est la promesse éternelle que nous font miroiter les compléments à base de shilajit et d’acide fulvique, deux substances mystérieuses issues des arcanes de la médecine ayurvédique indienne.

Selon leurs promoteurs, elles constitueraient rien de moins que la panacée universelle. Reminéralisation, antigement, protection contre les maladies dégénératives comme Alzheimer, effet anticancéreux… Leurs vertus supposées n’auraient plus de secret pour nous. Mais qu’en est-il réellement ? La science a-t-elle enfin percé à jour les mystères de ces deux compléments naturels ?

L’acide fulvique sous la loupe

Avant de nous intéresser au shilajit, penchons-nous d’abord sur l’un de ses principaux composants, l’acide fulvique. Cette substance est un élément constitutif de l’humus, la partie organique supérieure des sols, issue de la décomposition de végétaux et d’animaux par les micro-organismes.

Si les études en laboratoire ont mis en évidence certaines propriétés biologiques de l’acide fulvique, force est de constater que ses effets réels semblent pour le moins ambivalents. Dans certains cas, il fait montre d’un potentiel anti-inflammatoire en diminuant la production de médiateurs comme l’histamine, impliqués dans les réactions allergiques. Il tempère également l’immunité en réduisant les taux de molécules pro-inflammatoires.

Mais dans d’autres circonstances, c’est l’effet inverse qui a été observé ! L’acide fulvique peut se révéler immunostimulant, activant la production d’anticorps et augmentant le volume de certains tissus lymphoïdes chez l’animal. Un flou artistique entoure ainsi son impact réel sur les maladies où le système immunitaire déraille, comme dans le cas des pathologies auto-immunes.

Les propriétés antioxydantes de l’acide fulvique ne font pas non plus l’unanimité. Certaines expériences ont mis en avant sa capacité à booster les défenses naturelles de l’organisme contre le stress oxydant, comme la production de glutathion ou de superoxyde dismutase. Pourtant, d’autres travaux suggèrent qu’il pourrait au contraire favoriser l’oxydation des lipides membranaires dans certains types cellulaires.

On le soupçonne même de jouer un rôle néfaste dans l’apparition d’une grave pathologie articulaire, la maladie de Kashin-Beck, très répandue dans certaines régions de Chine où l’eau est riche en acide fulvique. À l’inverse, c’est justement ce potentiel pro-oxydant qui lui permettrait d’exercer un effet anticancéreux, en générant des espèces réactives de l’oxygène capables de détruire les cellules tumorales.

Le shilajit et ses mystères

Qu’en est-il à présent du shilajit, cette autre substance énigmatique dont est extrait l’acide fulvique ? Cette résine brune est un exsudat naturel qui suinte des roches dans certaines régions montagneuses, selon un mécanisme mal compris. Sa composition précise varie en outre de façon significative selon les sources, complexifiant son étude.

Dans la tradition ayurvédique indienne, On vante ses multiples bienfaits : reminéralisation de l’organisme, pouvoir tonique et revitalisant, propriétés anti-âge, etc. Pourtant, les rares études menées chez l’homme n’ont pas permis d’étayer ces allégations des compléments à base de shilajit.

Une expérience n’a pas réussi à mettre en évidence d’amélioration significative des symptômes chez des personnes souffrant de troubles digestifs fonctionnels, malgré l’administration conjointe de probiotiques. De même, une étude auprès de patients porteurs du VIH n’a pas relevé d’effet positif sur leur système immunitaire, au prix même d’effets secondaires désagréables (nausées, diarrhées).

Seule une application locale d’un dérivé de l’acide fulvique aurait permis de soulager partiellement les lésions cutanées chez des personnes atteintes d’eczéma, mais en provoquant des sensations de brûlure. Deux études plus récentes suggèrent cependant un impact prometteur sur la performance musculaire chez des sportifs amateurs et des hommes en surpoids, des résultats qui restent à confirmer.

Efficacité réelle ? Un décalage à combler

Force est de constater un fossé béant entre les multiples bienfaits revendiqués par les marques de compléments à base de shilajit et d’acide fulvique, et les preuves scientifiques tangibles de leur efficacité. Les fabricants n’hésitent pas à s’appuyer sur les moindres résultats in vitro pour asséner des affirmations fracassantes, au mépris de la réalité des faits.

Prenons l’exemple de la maladie d’Alzheimer. Certains prétendent que l’acide fulvique constituerait la solution miracle tant attendue face à cette pathologie neurodégénérative dévastatrice. Pourtant, cette allégation se fonde uniquement sur une étude en laboratoire ayant montré que cette molécule parvenait à désassembler les agrégats de protéines tau impliqués dans la maladie… mais dans des conditions très éloignées de ce qui se passe réellement dans le cerveau humain !

Les experts s’accordent à dire qu’il serait parfaitement abusif de proposer des compléments d’acide fulvique à ce jour contre Alzheimer. Il en va de même dans de nombreux autres domaines, où les bénéfices prêtés à ces substances sortent tout droit de l’imagination commerciale de leurs distributeurs, sans aucun fondement scientifique solide.

Ce décalage entre la réalité et le discours des marques s’explique par les nombreuses limites qui entachent la plupart des recherches actuelles sur le shilajit et l’acide fulvique. Les échantillons de patients sont la plupart du temps de taille très réduite, ce qui nuit à la portée statistique des résultats. La durée des études reste elle aussi beaucoup trop courte, ne permettant pas d’évaluer les effets sur le long terme. Enfin, les doses d’acide fulvique ou de shilajit administrées varient énormément d’une expérience à l’autre.

Dans ces conditions, les scientifiques appellent logiquement à la prudence. Il est impossible de tirer des conclusions définitives quant à l’innocuité et à l’efficacité réelle de ces compléments naturels sur la base des données disponibles. Prudence devrait également être le maître mot des individus tentés par leur consommation.

Vers une évaluation plus poussée ?

Si les études de courte durée n’ont pas mis en évidence d’effets secondaires majeurs liés à la prise d’acide fulvique ou de shilajit, qu’en serait-il lors d’une supplémentation prolongée ? Les données manquent cruellement pour répondre à cette interrogation légitime. Or, on ne peut exclure des risques insoupçonnés lors d’une consommation sur le long terme.

Les inquiétudes se portent notamment sur les interactions médicamenteuses potentielles. Rien ne permet d’affirmer que l’acide fulvique ou le shilajit soient parfaitement anodins et inoffensifs lorsqu’ils sont combinés à d’autres traitements, phytothérapies ou compléments alimentaires courants.

Un autre point d’ombre concerne les risques de contamination. Le shilajit provient de sources naturelles situées dans des zones reculées. Or, ces régions peuvent être polluées par des métaux lourds comme le plomb, l’arsenic ou le mercure. Ces toxines potentiellement cancérogènes se retrouveraient alors concentrées dans les compléments, au grand dam des consommateurs.

Face à toutes ces zones d’ombre, les autorités sanitaires réclament à cor et à cri la mise en place d’études cliniques de grande ampleur, seules à même de trancher définitivement sur l’innocuité et l’efficacité des compléments à base de shilajit et d’acide fulvique. Il est vrai que certaines pistes prometteuses émergent, comme leurs potentiels effets bénéfiques sur les troubles cognitifs légers ou encore la performance physique.

Malgré tout, de nombreux consommateurs continuent d’être séduits par la chimère séculaire d’une molécule miracle, naturelle et dépourvue d’effets secondaires. Un puissant fantasme que les industriels du secteur des compléments alimentaires n’hésitent pas à entretenir au prix de dérives commerciales parfois éhontées.

Aussi séduisantes que puissent paraître les promesses entourant l’acide fulvique et le shilajit, il convient de rester critique et de conserver son esprit d’analyse face à de telles allégations commerciales. Cela ne signifie pas pour autant renoncer à explorer les potentielles vertus de ces produits naturels. Mais il est indispensable que leur évaluation scientifique soit menée avec toute la rigueur et l’objectivité nécessaires. Une nouvelle ère de la médecine se jouera peut-être là… mais sûrement pas grâce aux effets d’annonce !

Vous pourriez également aimer